La petite bibliothèque de Miguel Bonnefoy

Durant le festival, nous avons interrogé les autrices et auteurs invités sur leur petite bibliothèque idéale. Rencontre avec Miguel Bonnefoy qui a publié Le Rêve du jaguar chez Rivages (Prix Femina et Grand Prix de l’Académie Française).
Quelle œuvre vous évoque la mer ?
Les Djinns de Victor Hugo, écrit à Guernesey, qui commence par
Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.
Dans la plaine
Naît un bruit.
C’est l’haleine
De la nuit.
C’est un poème qui commence et finit par la mer, avec cette idée de la vague et de la marée
Tout passe
L’espace
Efface
Le bruit.
Tout y est, avec le dessin des vers, comme une vague qui se gonfle et se dégonfle.

Manuscrit autographe de Victor Hugo © Bibliothèque nationale de France
Quel livre n’est pas assez connu selon vous ?
Crónicas del Saladillo de Rutilio Alberto Ortega. C’est un livre que personne ne connaît, parce qu’il été tiré à 200 exemplaires et que ça n’intéressait qu’une certaine partie de Maracaibo, une ville du Venezuela. C’est très spécifique, plein de néologismes, de régionalismes, d’indigénismes et de petits détails minuscules que seuls des gens d’une partie de la ville peuvent comprendre. Ce livre n’est plus imprimé depuis 40 ans et ne se trouve que sous le manteau, dans de minuscules petites librairies au fin fond des Caraïbes. Ce que j’ai trouvé très drôle, c’est que dans ce livre, il y a une nouvelle qui parle d’un parfum qui s’appelle Maderas de Oriente, les Bois d’Orient, un parfum qui n’existe pas. Et dans les premières pages du dernier livre de García Márquez, posthume*, le personnage se met deux gouttes d’un parfum inconnu qui s’appelle Maderas de Oriente ! En le lisant je me suis dit “Ah, il a dû tomber comme moi sur ce livre !”. Et il a dû se dire “Mais comment est-ce possible que ce ne soit pas un chef-d’œuvre absolu?”.
Y a-t-il une phrase qui vous accompagne, que vous connaissez par cœur ?
Le Sonnet en x de Mallarmé. Ce serait ce que je me répèterais si j’étais en prison, si j’étais dans une tranchée ou si j’étais demain dans une situation délicate, pour ne pas devenir fou. Mallarmé a dans sa langue une géométrie particulière, une algèbre particulière, qui font que les mots et les sens ne sont pas si importants. C’est une sorte de roulement, des syllabes qui s’agencent les unes avec les autres qui à la fois surprennent et que l’on attend.
Quel est votre personnage préféré ?
Encore aujourd’hui, quand je suis en soirée avec des amis, que je passe un bon moment, et que je suis heureux, je peux tout à coup être assailli par une nostalgie, par une douleur secrète et tourmentée quand je me souviens de la mort de Jean Valjean. Tout à coup je suis plongé dans une sorte de tourment noir. Mes amis me disent “Qu’y a-t-il ? Est-ce un chagrin d’amour qui vient de te revenir à l’esprit ?”, je réponds “Non, c’est la mort de Jean Valjean ! Je suis désolé, je n’arrive pas vraiment à m’en remettre !”.
Quel est l’auteur dont vous avez lu le plus de livres ?
Je dirais Romain Gary, je dirais Borges, je dirais García Márquez, je dirais Kafka qui ont été les auteurs que j’ai le plus lus. Neruda aussi, mon père étant chilien, fatalement j’ai beaucoup lu Neruda.
Quel auteur inviteriez-vous à Oh les beaux jours ! ?
Julio Cortázar, qui devait être un type humainement assez extraordinaire, d’une grande humanité, le premier à tendre la main, à écouter, à dire “je ne sais pas”. Je pense aussi à Isabel Allende qui devait être une femme passionnante, non seulement politiquement parlant, mais aussi littérairement parlant. J’aurai beaucoup aimé inviter Eduardo Gallardo, l’écrivain uruguayen, qui était fascinant.
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*Nous nous verrons en août, traduit de l’espagnol (Colombie) par Gabriel Laculli, Grasset (2024)